LIVRE BLANC – Finance Innovation – Prévention Santé
- On 20 mars 2018
Finance innovation a récemment publié son nouveau Livre Blanc : « Prévention Santé, L’insurtech au service de l’humain » sous la direction de Jean-Hervé LORENZI et Joëlle DURIEUX.
Retrouvez ci-dessous l’interview de Valéry JOST
La révolution de la donnée est-elle réellement en passe de transformer les questions de santé et de prévention ?
Il règne la confusion des grands débuts. Des mouvements puissants se dessinent, mais entre identifier les forces qui sont à l’oeuvre et prévoir le monde qu’elles sont en train de façonner, il y a un pas qui défie la raison comme l’imagination. Bien évidemment, ce qui frappe, c’est la puissance naissante de la Donnée, avec un cortège de fantasmes pas nécessairement injustifiés, l’avenir le dira, mais qui contribue à l’incertitude. Oui, les masses de données sont extraordinaires ; oui, nous disséminons sur les réseaux une trace numérique qui laisserait peu de nous dans l’ombre, à qui saurait la reconstituer. Mais là est bien l’enjeu, d’ailleurs redoutable s’agissant précisément de la santé, à savoir réussir à réunir cette dissémination de données et la convertir en une information.
La défiance vis-à-vis de l’usage qui pourra être fait des données et la réglementation qui l’entoure, tout particulièrement en santé, ne risque-telle pas de faire avorter ce mouvement ?
La défiance peut freiner, mais n’arrêtera pas un mouvement qui se jouera des précautions individuelles comme des règles collectives si elles sont mal conçues. C’est pourquoi une réglementation efficace et crédible est indispensable, pour lever la méfiance et éviter les dérives. Il y a une fascination naturelle pour le pouvoir qui est en train de naître et une saine méfiance vis-à-vis des menaces que, comme tout pouvoir non régulé, il peut représenter. Mais le paradoxe, en matière de santé, c’est que la fascination va, à juste titre, aux géants du digital, quand la méfiance elle, continue de se porter vers les assureurs, comme il y a vingt ans, comme si les termes du débat n’avaient pas changé, comme s’il n’était pas évident que l’enjeu n’est pas dans les données que l’on fournit volontairement, et dans un but précis, ce qui est le cadre de l’assurance, mais dans celles qu’on abandonne au gré des vents d’internet. Pour avoir attendu, pour des scrupules certes louables, la dernière décennie pour engager une exploitation respectueuse et collectivement utile des données de santé (bases EGB et DAMIR), nous risquons de nous trouver démunis et moins bien préparés pour gérer, canaliser et maîtriser les mouvements, d’une toute autre dimension, avec lesquels il faudra composer à l’avenir.
Qu’est-ce que le consommateur ou l’assuré aurait à gagner ou à perdre en confiant ses données de santé à des tiers ?
Les gains en termes de détection, d’épidémiologie, d’assertion des risques d’exposition diffuses, et partant de prévention, individuelle ou collective, sont évidents. La contrepartie, c’est que des règles extrêmement stables et lisibles soient posées, ce qui n’est pas le fort de notre époque ; car celui qui a livré ses données les a irrémédiablement abandonnées et se trouve à la merci de l’usage qui en sera fait. La prévention requiert une participation active de l’individu, ce qui suppose une motivation que le digital peut favoriser le cas échéant (en rendant compte des progrès par exemple) mais où il n’est certainement pas déterminant. L’enjeu est bien de quitter le versant punitif, si cher aux économistes qui croient, souvent plus que les assureurs, au « signal prix » qui sanctionnerait les « mauvais » comportements. La difficulté à faire émerger sur cette base un modèle économique de la prévention en assurance atteste que la cause est loin d’être entendue. Cette logique peut jouer et l’on imagine quelle ampleur peut lui donner la révolution de la Donnée, surtout si les équilibres de nos systèmes de protection se rompent. Or, l’ambition affichée d’une protection de plus en plus complète conjuguée à la déresponsabilisation observée tant au niveau de comportements individuels que de l’incitation collective à les adopter, crée une réelle menace. En cas de rupture des systèmes actuels, l’exploitation de la Donnée pourrait être un moyen particulièrement rigoureux de remettre chacun, individuellement en face de ses responsabilités, qu’il s’agisse de modes de vie, d’addictions, de pratiques alimentaires, avec comme sanction, des tarifications dissuasives et des pénuries de couverture.
N’y a-t-il pas encore d’autres défis que l’innovation technologique pose en matière de couverture de la santé ?
Oui, on pourrait aller bien plus loin. Car la même révolution digitale qui pourrait bouleverser le modèle traditionnel de l’assurance et de la prévention par la puissance inouïe de l’information qu’elle promet de mobiliser ne manquera pas de modifier aussi profondément le risque assuré. En brisant toutes les échelles, cette puissance n’est pas seulement capable de suivre les individus, mais jusqu’à leurs cellules : nanorobots, cellules souches, interface entre l’organique et l’électronique, jusqu’à la quête de l’homme a-mortel, on voit qu’il est plus qu’urgent de prendre la dimension des changements à l’oeuvre et de ne pas rester passif. Quelle serait la valeur assurable d’une vie humaine
qui n’aurait pas de fin ?